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L'UE et l'Afrique : les défis de la cohérence
La cohérence des instruments de l’UE exige un effort politique et administratif de longue haleine. Sans les ressources humaines et financières appropriées, la cohérence ne prendra pas corps. La voie est donc ouverte aux dynamiques de réseaux et de partage d’expérience, aux phases d’expérimentation et aux tests de motivation politique. Comme dans d’autres domaines de l’action extérieure, la cohérence, si elle gagne en épaisseur, le fera au moyen des géométries variables. La clarification de la représentation politique de l’Union, si elle a bien lieu, devrait jouer un rôle clé d’impulsion à cet égard.
Les discussions sur l’architecture de la gouvernance multipolaire et l’interdépendance financière, économique et commerciale concernent aussi l’Afrique qui devient de plus en plus imbriquée dans la mondialisation. Les enthousiasmes suscités par le continent ne doivent pourtant pas faire oublier sa diversité. Les transformations en cours doivent inspirer une réorientation de la cohérence des politiques globales de l’UE en coordination avec d’autres niveaux d’action au plan régional et national.
L’Afrique, depuis une décennie, est sur la voie d’une « structuration stratégique » dans tous les domaines des affaires internationales. Face à ces changements, l’UE a fait preuve de cohérence : elle a accompagné les institutions panafricaines et sous-régionales dans leurs projets tout en cherchant à négocier des relations thématiques qui répondaient aux principes de ses traités. Des déficits de cohérence perdurent cependant : ambivalences des accords de partenariat économique, externalisation et durcissement – au moins rhétorique – sur les politiques migratoires, et surtout besoin de stratégies régionales plus concertées avec les autres organisations.
L’Afrique change vite, mais les institutions changent lentement, et les défis régionaux que l’UE se dit prête à relever avec cohérence concernent le long terme. Les innovations et les transformations, pour être cohérentes, devront s’inscrire et être évaluées dans la durée. Le remplacement des cadres de coopération de Cotonou n’est donc qu’une étape intermédiaire vers la formulation de nouvelles cohérences à inventer en partenariat avec l’ensemble des acteurs africains qui comptent.
Chez les puissances régionales qui représentent des marchés potentiels pour les produits européens, l’UE est partagée entre ses intérêts économiques et ses exigences politiques. Ceci dit, les investisseurs européens n’attendent pas l’Union européenne pour s’engager et tenter de gagner des parts de marché. Le profil bas de la diplomatie de l’Union et des États membres leur permet d’avancer dans un climat qui n’est, à quelques exceptions près pour certains États membres, marqué par aucune tension politique majeure.
Dans la gestion de crise, que l’Union ait affaire à une anarchie sécuritaire généralisée ou à des leaders manipulateurs et autoritaires, l’une des conditions essentielles de la cohérence européenne dépend de la qualité des analyses de terrain produites par le personnel européen, indispensables pour un suivi exigeant des dossiers politico-militaires par une diplomatie collective. De plus, sans appropriation africaine, les efforts de gestion de crise de l’Union demeureront vains et se solderont par un échec.
Face aux crises politiques, la tendance est au multilatéralisme : l’UE n’agit plus seule mais en coordination avec d’autres. Elle participe à des groupes de contact internationaux plus ou moins efficaces, elle soutient des médiations régionales et des initiatives bilatérales africaines.
Les transformations des pays africains appellent donc à une approche à la fois normalisée et différenciée. Une approche qui s’émancipe des cadres cohérents existants pour se concentrer au cas par cas sur ceux qui comptent : les puissances régionales et les pays tiers qui assument la responsabilité de leur gouvernance, présentant ainsi un double potentiel de stabilité et de force de changement. En l’absence de tels interlocuteurs africains porteurs de stabilité et de changement, l’UE pourra œuvrer à sa cohérence interne (par les instruments), mais sans garantie immédiate ou à court terme d’efficacité ou d’influence.
L’action extérieure européenne en Afrique subsaharienne reste dominée par les anciennes puissances coloniales dont les approches bilatérales atteignent leurs limites aussitôt que l’agenda implique d’autres acteurs géographiques. Face à l’africanisation des gestions de crise (CER, Union africaine), elles doivent marquer le pas et respecter les logiques d’appropriation. Dans ce cas, elles ont intérêt à s’allier aux autres Européens pour faire valoir leur stratégie et s’appuyer sur les ressources financières, normatives et humaines de l’Union.
Au niveau global et régional, elles ne sont que parties aux processus d’harmonisation des normes et de régulation de l’aide publique au développement, des échanges commerciaux ou du maintien de la paix. Là encore, leur expertise et leur expérience est incommensurablement appréciable, mais leur agenda bilatéral, s’il demeure ambigu ou contradictoire (critiques politiques ouvertes mais maintien de l’aide, européanisation de façade mais maintien d’une logique de sphère d’influence par exemple), risquera de les desservir tôt ou tard.
De la même manière, les institutions communautaires, malgré leurs atouts irremplaçables, sont prisonnières de leurs propres procédures et incohérences administratives dont seuls les États, grâce à leur autorité politique, peuvent exiger la rectification. Les solutions sont sans doute à trouver dans des initiatives de réseaux mêlant autorités politiques, experts nationaux et des institutions de Bruxelles ou en délégation et experts extérieurs. La nature hybride du SEAE, à cet égard, représente une grande opportunité, pour autant que les efforts de diffusion de l’expertise et de professionnalisation du personnel soient accrus. En définitive, les rapports de force à l’œuvre autour des enjeux de cohérence favorisent ceux qui maîtrisent le plus précisément – généralement grâce à leur connaissance et leur expérience du terrain –les sujets euro-africains et qui sont les seuls à même de justifier la valeur ajoutée d’une approche sincèrement collective.