You are here
Les forces politiques de l’opposition syrienne
La nature du régime et le cadre de travail de l’opposition
Il était jusqu’ici fréquent de lire qu’en Syrie, il n’y a pas d’opposition mais des opposants. Ce qui revenait à suggérer l’inexistence d’une action politique organisée capable d’assumer la transition en cas de changement radical à la tête du pouvoir syrien ou d’abdication négociée avec le président en poste Bachar al Assad. Un présupposé qui inquiétait les observateurs et les diplomates tant arabes qu’occidentaux mais aussi une partie encore hésitante de la société syrienne elle-même. L’origine en est une méconnaissance de la réalité du mouvement contestataire lui-même ainsi que de ses connexions avec les forces organisées de l’opposition politique. Il importe à terme de mettre en valeur les passerelles qui relient les différentes composantes de la révolution syrienne de manière à dissiper les inquiétudes et à démontrer le niveau de compétences et la capacité de ce pays millénaire à assumer l’avenir.
Depuis 1958, date de l’unification avec l’Égypte de Nasser, la vie politique syrienne était confisquée et l’espace public monopolisé. Les partis politiques, y compris le parti Ba’th, ont été dissouts et la vie associative a été suspendue. Les forces politiques traditionnelles ont été réprimées et celles qui ont pu résister ont été contraintes d’entrer dans la clandestinité. Le parti Ba’th, arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1963, préserve cette méthode et prive tous les Syriens de leurs droits politiques. Assad père, auteur d’un coup d’État contre les chefs historiques de son parti en 1970, décide de camoufler le système totalitaire qu’il envisage d’établir en créant un Front national progressiste qui régente les partis politiques soumis à son pouvoir et les empêche d’exister réellement grâce aux privilèges distribués à leurs dirigeants. La création d’organisations populaires à la coréenne renforce cette politique basée sur la sécuritocratie, renvoyant même le parti Ba’th au banc des barbouses dépourvus de toute influence politique. Assad fils ne change rien à la tradition familiale mais tente de développer un système parallèle afin de donner l’impression qu’il entame une ouverture politique, brouillant ainsi pendant longtemps l’image perçue par les observateurs occidentaux.
Les forces de l’opposition ont néanmoins pu œuvrer grâce à une audace exceptionnelle durant des décennies et dans une totale clandestinité. Les années 1970 et 1980 ont été les plus rudes avec des arrestations et des disparitions par milliers. Il n’existait aucune possibilité de rassemblement ou d’organisation effective afin de proposer une force politique réelle. Le Printemps de Damas au début des années 2000 ne permet qu’une petite ouverture sous la forme de forums de discussion. En 2005, ces forces réussissent cependant à s’organiser sous la bannière de la Déclaration de Damas pour la transition démocratique. Ce mouvement tend la main au pouvoir pour entreprendre avec lui un processus de réforme sans qu’il soit question d’un changement radical ou d’un renversement du régime. La réaction est l’arrestation de ses leaders et le renforcement de la vision sécuritaire qui règne dans le pays depuis des décennies.
Le canevas de la scène politique contestataire
Depuis l’éclatement de la révolution syrienne en mars dernier, les forces de l’opposition tentent de s’organiser à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Cependant, cette émergence active se produit après que des jeunes auparavant « apolitisés » ont ouvert le chemin en descendant dans la rue et en brisant le mur de la peur. Cette organisation avait été anticipée par les manifestants avec la création des « coordinations ».
Cette formule a été transmise aux jeunes par les « vétérans » de l’opposition traditionnelle afin de canaliser leurs efforts et de les rendre plus efficaces. Les divisions idéologiques ont engendré deux formations entretenant des liens entre elles : l’Union des coordinations de la révolution syrienne et les Comités de la révolution syrienne. L’Union regroupe des représentants de l’opposition traditionnelle et des jeunes des contestations. En revanche, les Comités ne regroupent que des jeunes contestataires sans aucune appartenance politique apparente. Les deux groupes sont le noyau dur de la mouvance contestataire et produisent l’essentiel des documents filmés et diffusés aux médias internationaux en l’absence totale d’une couverture médiatique neutre sur le terrain.
En parallèle, et au niveau de « l’élite », un rassemblement d’opposants laïcs regroupant des centaines de personnalités issues des différentes communautés et initié par des intellectuels alaouites a, le 23 juin dernier, communiqué son projet politique pour que les citoyens œuvrent « ensemble pour une Syrie libre et démocratique ».
Ainsi, le 27 juin, environ 200 intellectuels indépendants (gauche et libéraux) se rassemblent pour débattre de l’avenir de la Syrie dans la perspective d’un changement radical du système politique et de la fin du système totalitaire. Dans un premier temps, « la rencontre consultative pour une Syrie démocratique » a été critiquée par l’opposition de l’étranger qui craignait qu’elle ne soit exploitée par le régime en lui donnant le prétexte de mettre en valeur sa prétendue « ouverture » politique. Les résultats de cette rencontre ont rassuré les esprits critiques puisque le communiqué final a appelé à la fin du régime en place et à l’établissement d’une démocratie « laïque ». Cet adjectif ayant été jugé choquant par certaines tendances conservatrices car « antireligieux », les différentes initiatives ont adopté le concept de l’État « civil » (Madaniyé) afin d’éviter les polémiques et de rassembler les forces de l’opposition.
Dans cette effervescence, 14 partis de l’opposition traditionnelle (nationalistes, gauche), ainsi que des personnalités indépendantes de tendance islamiste ou libérale se sont regroupés dans le cadre d’un Conseil national de Coordination pour le changement démocratique lors d’une conférence de presse tenue à Damas le 30 juin. Un bureau a été désigné avec un représentant à l’étranger en la personne de Burhan Ghalioun (professeur à Paris 3). Cette nouvelle formule de l’opposition tente de refléter la réalité de la composition politique sur le terrain en associant les jeunes. Dans les conditions actuelles, elle peine à se réunir et à être efficace sur le terrain sans pour autant s’abstenir de produire une littérature politique nécessaire pour enrichir la réflexion des activistes.
L’opposition dans la diaspora
Étant donné la nature du système politique syrien et la répression qu’endurent les activistes politiques dans ce pays depuis des décennies, il existe un nombre significatif d’opposants syriens à l’étranger. Toutes les tendances sont présentes dans la diaspora syrienne. Depuis le début de la révolution syrienne, plusieurs tentatives ont eu lieu afin de regrouper les tendances dans le but de préparer l’avenir de la Syrie en vue de la victoire de la révolution et la fin de la dictature.
Le 2 juin 2011, une réunion a été organisée à Antalya en Turquie avec la bénédiction des autorités turques. Elle a donné lieu à la formation du Conseil national. Ce Conseil a élu 31 membres pour son bureau représentant toutes les tendances (islamistes, gauche, libéraux et nationalistes). Le Conseil joue un rôle significatif au niveau international. Plusieurs délégations ont pu rencontrer des diplomates occidentaux, russes et sud-africains. Les membres de ce Conseil méconnaissent quelque peu le terrain à cause d’un éloignement géographique qui dure depuis des décennies. Les nouvelles technologies de télécommunication permettront néanmoins de faire tomber ces barrières et de rétablir la liaison.
Une Conférence de Salut national s’est réunie à Istanbul le 16 juillet à l’initiative de Haytham Maleh, un vétéran de l’opposition syrienne interne, emprisonné maintes fois dans sa vie. De tendance islamiste, ce juge à la retraite s’est toujours consacré à la défense de droits de l’homme en Syrie. Il a réussi à quitter Damas pour participer à cette rencontre. La Conférence a élu un bureau de 25 membres pour un bureau représentatif. Toutes les tendances ont été intégrées au sein de cette nouvelle formation.
Enfin, une réunion a eu lieu à Berlin le 14 août pour annoncer la création d’un Comité de coordination pour la révolution syrienne à l’étranger. Ce Comité rassemble des personnalités indépendantes et laïques, dont Haytham Manna et Burhan Ghalioun. L’un des objectifs annoncés de ce rassemblement est de renforcer l’aspect séculaire du mouvement contestataire. Ce Comité envisage de mieux organiser l’action politique des Syriens à l’étranger afin de servir la révolution et ses objectifs.
A côté des activités politiques très denses entreprises par la diaspora syrienne, des initiatives plus pratiques voient le jour. Des technocrates, techniciens, scientifiques de toutes les disciplines, des hommes d’affaires et des banquiers organisent des rencontres afin d’élaborer des visions pour la Syrie de demain. Ces cadres, souvent peu politisés, cherchent à développer des projets concrets afin d’aider à la réforme annoncée et nécessaire après la chute du régime. Le seul avantage éventuel de cette période d’attente de la liberté et la démocratie tant souhaitées est la possibilité de profiter du temps disponible pour mieux préparer l’avenir. Ce que les Égyptiens et les Tunisiens font, avec beaucoup de difficulté, après la victoire de leurs révolutions respectives, les Syriens sont en train de le faire en parallèle de la révolte qui se déroule sur le terrain.
Objectifs communs et passerelles multiples
Non à la violence, non au confessionnalisme et non à l’intervention militaire étrangère. Ces principes sont partagés par toutes les formations de l’intérieur comme de l’extérieur de la Syrie, dont il est question plus haut.
Ce canevas semble un peu confus pour un observateur extérieur. Cependant, force est de constater que les différents groupes, rassemblements, conseils, comités et coordinations s’appuient sur la légitimité de la rue syrienne et des manifestations quotidiennes de la population. Aucune de ces nouvelles formations politiques ne prétend remplacer ou faire ombre à cette mouvance. Le discours général partagé est de se présenter en tant qu’initiative liée aux aspirations des jeunes contestataires. Personne n’essaye de jouer un rôle qui ne lui a pas été octroyé par les voix démocratiques habituelles. En attendant, les initiatives essayent de réintroduire une pratique politique saine dans une société qui en a été privée.
Les communications sont développées entre les différents groupes d’un côté et les coordinations sur le terrain de l’autre. Les initiatives entreprises à l’étranger demandent souvent « l’accréditation » des jeunes de la révolution. De plus, nous constatons que la liaison existe bel et bien entre les différents groupes. De même, des personnalités politiques peuvent être présentes dans plusieurs groupes en même temps (Coordination et Conseil national, Comité et Conférence nationale, etc.). La concurrence n’est donc pas à l’ordre de jour pour le moment. Tous les participants à ces actions sont conscients que la priorité actuelle est d’en finir avec le régime. Les différends politiques seront réglés par le processus démocratique tant attendu.
Reste à espérer que ces différentes formations parviendront à regrouper leurs actions et à trouver une plateforme commune afin de renforcer le poids de l’opposition politique. En attendant, ces actions ne se contredisent pas et une harmonie invisible existe dans le but commun d’en finir avec cinq décennies de dictature.